Alain-Edouard-Antoine
A PROPOS

Nous ne sommes que ce qui reste de notre passage, la trace des objets que nous avons laissé. Mais qu’en serait-t- il d’une œuvre qui se projetterait dans cette ambition?

On invente rien, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Ma démarche artistique est le résultat de toutes mes influences, de mon passé et de mes racines.

Malgré cela, il me fallait traverser les années pour constater que la perception que j’ai de mon travail est inchangée. Mon ressenti est intact malgré le temps qui passe.

Mais qu’en est il de vous? L’ œil du spectateur sur mon travail va-t-il évoluer avec le temps? Les générations? Qu’adviendra t-il de cette œuvre? De la trace qu’elle laissera dans le temps? Résistera t-elle ou sera-t-elle rejetée tout simplement? Qu’allons nous retenir? Rappelons que la démarche première dans l’acte de peindre depuis la préhistoire était la représentation. Elle fut ensuite utilisée comme outil d’ interprétation pour l’église et qui témoigne de cette capacité au temps d’embellir ou de faire oublier la raison première de la démarche artistique d’un tableau.

Si Léonard De Vinci peignait, c’était uniquement à partir d’une commande qu’un riche commerçant lui avait passé.

Toute démarche artistique s’inscrit dans son époque, mais alors?

Pourquoi Van Gogh a t-il été incompris durant toute sa vie ?

Pourquoi le cubisme ne semblait-il qu’une passade?

Pourquoi les traits de Cy Twombly ne lui ont-ils pas permis de s’assumer en tant qu’artiste à part entière?

Les travaux sur papier de Hans Hartung devaient ils attendre tant d’années pour être accrochés dans un musée?

Si l’art qui n’est pas dans le présent ne sera pas dans l’avenir, pourquoi une œuvre doit elle traverser le temps pour être formellement reconnue en tant que telle?

Seules, quelques exceptions esthétiques mais inscrites dans une logique historique peuvent profiter d’une reconnaissance instantané et financière. Seule la démarche média et la reconnaissance des galeristes peuvent valider la qualité ou la médiocrité d’une œuvre, de la même façon que le salon d’automne à Paris rejetait l’œuvre majeure de Duchamp en 1917.

Le temps qui ne fait que ça, passer. N’a-t-on pas la moindre chance d’en sortir indemne? Qu’adviendra t-il de mon travail à mon départ? Qu’est ce qui induit la réalisation et la reconnaissance d’une œuvre? Le hasard? La transmission par héritage de descendants bienveillants? Mes tableaux seront-ils considérés inachevés comme bon nombre de tableaux de Picasso ou Basquiat ou tout simplement mauvais?

Si on invente rien, serai je à mon tour inspirant pour un prochain Beltracchi? Y a –t-il un sens à cela?

Pour la raison simple que je suis plus intéressé par l’acte de peindre que par le tableau lui-même, ma démarche  s’inscrit dans le cheminement suivant : Une œuvre peut elle être majeure sous prétexte d’avoir la prétention de viser la postérité pour son auteur?

 

Alain-Edouard Antoine.


 

Alain-Edouard Antoine est né le 5 septembre 1970 à Besançon.

Sensible, curieux de peinture très jeune, il découvrit tout d’abord l’abstraction lyrique et la technique graphologique de Georges Mathieu lors de ses happenings télévisuels, il avait dix ans. Il se mit à peindre à seize ans avec le matériel et les huiles qui lui restaient de sa mère, des formes molles peintes à l’huile de couleur sombre et reliée par des traits irréguliers à l’encre.

En 1988, il vit dans les Vosges, ses études à peine commencées, il quitte le foyer familial et s’installe dans un petit appartement où il s’enfermera durant des semaines, des mois à peindre frénétiquement, il se cherche. Avec tout ce qu’il trouve, il peint, il dessine, il découpe. De cette époque, on retrouve des lavis, des encres des aquarelles, représentant des symboliques, des corps nus, des clous, des ouvriers au travail. Il y exprime de la souffrance, de la tristesse aussi. À cette période, il côtoie un autre artiste local, Stéphane Paon, ce dernier, travaille comme conservateur au musée Pierre-Noël de Saint-Dié-des-Vosges, et lui donne l’envie d’avoir cette culture artistique qu’il n’a pas. Du musée ou il pourra trainer à sa guise, il découvrira de nombreux artistes, Erwin Trum, Le Corbusier, Fausto Olivares, Roger Decaux, Jean Bazaine, mais aussi l’ archéologie gallo-romaine.
Il rencontrera l’artiste Erwin TRUM en personne dans son atelier. Il le reçoit seul et se trouve déjà souffrant. Erwin lui parle de ce « certain état d’ âme » nécessaire à chaque artiste, cette solitude aussi. Il sort de l’entretien fasciné, c’est la vie qu’il veut.

En 1994, il quitte les Vosges et s’installe à Strasbourg, achève ses études de styliste, mais ne renonce pas à la peinture, il découvre le tachisme et l’expressionnisme abstrait d’ après guerre et notamment la peinture américaine et allemande de cette période. Parallèlement la culture germanique le fascine, son design, son architecture, le Bauhaus, en 1996, à la naissance de son fils, il le prénommera Dieter.

Stockant des toiles depuis plusieurs années dans son appartement il décide de faire une foire à Strasbourg, ville où il réside depuis 4 ans, on est en 1998, tout est vendu en quelques heures. C’est le succès commercial.

Depuis lors, il ne cessera de peindre de 1999 à 2009 et travaillera régulièrement en partenariat avec des boutiques de design à Strasbourg, galerie K, Pyramide, mais aussi avec une galerie à Bruxelles, qui lui vendra 2 toiles à New York.

En 2003, il cesse de travailler et se consacre uniquement à la peinture. Son appartement quai Rouget de Lisle devient son show room, le grenier de l’immeuble un immense atelier. Des toiles à peine sèches se vendent chaque semaine. Des premières toiles tendues maladroitement sur des bouts de bois il met rapidement au point la fabrication de ses propres châssis, en médium avec une tranche de 7cm, cela fait partie de sa signature. La toile est à présent tendue parfaitement par un procédé qu’il met au point et dont il a le secret. Il se passionne pour les grands formats, il en définit lui-même les tailles.

Sa peinture aussi est reconnaissable, il en développe 3 techniques:
Sensible aux travaux de Rothko dont il apprécie la fausse simplicité (il le ramenait aux origines de la peinture) Soulage et l’efficacité de son noir et de Kline pour son blanc. Sa peinture se dit bourgeoise et décorative, de grandes masses blanches sont perturbées par des noirs parfaits. On discerne des lignes d’horizon, des paysages, le tout à grands coups de spatules et de pinceau, il crée aussi son propre matériel. En seconde technique, parallèlement attaché au matiérisme, il maroufle des bandes papier qu’il plie et qu’il colle, il le colore ensuite dans des tons naturels ou noirs, faisant penser à du bois, mais aussi au temps qui passe….
Autre technique majeure de son art, de moins en moins enclin à l’expression, il peint de grandes toiles noires rompues par des petits stripes réservés et recolorés de beige.

En 2007, il découvre le musée Burda, sa diversité, les possibilités de la peinture contemporaine.

En septembre 2010, c’est la rupture. Il quitte Strasbourg pour Lille. Alain Edouard Antoine n’est plus et se prénomme Antoine.

Après une période trouble et de questionnement de 2 ans sans vraiment que la peinture ne le quitte il décide de se remettre au travail, lit, voyage énormément, désapprend, renonce à sa mécanique. Il va régulièrement à New York, visite les galeries, va au MOMA et au WHITNEY MUSEUM, découvre l’œuvre sur papier de Basquiat.

En 2015, plus inspiré par le fait de peindre que par l’objet qu’est la toile elle-même ou par une quelconque symbolique que cette dernière pourrait représenter, il plisse des toiles sur ses châssis qu’il peint ensuite de façon monochrome , sa peinture ne cherche plus à exprimer quelque chose. Les plis forment des traces sur la toile, des nuances, une profondeur.

Début 2017, libéré de tout automatisme, devenu insensible « au rendu » de la toile et à un aspect esthétique, il laisse la peinture lui dicter la conduite à suivre. Plus attiré aujourd’hui par la peinture américaine des années 80, comme Basquiat , Twombly , le matiérisme de Tapies ou les travaux sur papier de Richter, il développe une gestualité radicale, comme un élan.

Au départ, la toile préparée dimensionne le sentiment qu’il veut exprimer, des superpositions de faux blancs , de beige, symboliquement, ces fonds clairs représentent la vie.
Ensuite vient les aplats , les traces, comme celles du passé, indélébiles et imposantes, cela peut être de la douleur, de l’affection, une émotion. Si celles-ci barrent la toile, Antoine ne la ferme pas complètement. Un passage blanc permet à l’œil du visiteur de cheminer et d’entrevoir un apaisement, une certaine sérénité. Puis viennent les mots, ceux qu’on devine et ceux qu’il a effacés, sans pouvoir les lire, comme un secret. Raturée, cachée, la toile lui dicte ce qu’il doit faire, jusqu’ au renoncement.

Une fin.